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table. Moi, je baissais les yeux ; mais mon escapade s’était si bien perdue dans la désolation générale que personne n’y pensait plus.

Chacun citait à l’envi quelque trait de vertu de ce pauvre Pie IX ; puis, peu à peu, la conversation s’égarait à travers l’histoire des papes. Tante Rose parla de Pie VII, qu’elle se souvenait très bien d’avoir vu passer dans le Midi, au fond d’une chaise de poste, entre des gendarmes. On rappela la fameuse scène avec l’empereur : Comediante !… tragediante !… C’était bien la centième fois que je l’entendais raconter, cette terrible scène, toujours avec les mêmes intonations, les mêmes gestes, et ce stéréotype des traditions de famille qu’on se lègue et qui restent là, puériles et locales, comme des histoires de couvent.

C’est égal, jamais elle ne m’avait paru si intéressante.

Je l’écoutais avec des soupirs hypocrites, des questions, un air de faux intérêt, et tout le temps je me disais :

« Demain matin, en apprenant que le pape n’est pas mort, ils seront si contents que personne n’aura le courage de me gronder. »

Tout en pensant à cela, mes yeux se fermaient malgré moi, et j’avais des visions de