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bouffant de colère et rouge comme un coq, le maréchal paraît à la fenêtre, sa queue de billard à la main :

« Qu’est-ce qu’il y a ?… Qu’est-ce que c’est ?… Il n’y a donc pas de factionnaire par ici ?

— Mais, maréchal…

— C’est bon… Tout à l’heure… Qu’on attende mes ordres, nom d… D… ! »

Et la fenêtre se referme avec violence.

Qu’on attende ses ordres !

C’est bien ce qu’ils font, les pauvres gens. Le vent leur chasse la pluie et la mitraille en pleine figure. Des bataillons entiers sont écrasés, pendant que d’autres restent inutiles, l’arme au bras, sans pouvoir se rendre compte de leur inaction. Rien à faire. On attend des ordres… Par exemple, comme on n’a pas besoin d’ordres pour mourir, les hommes tombent par centaines derrière les buissons, dans les fossés, en face du grand château silencieux. Même tombés, la mitraille les déchire encore, et par leurs blessures ouvertes coule sans bruit le sang généreux de la France… Là-haut, dans la salle de billard, cela chauffe terriblement : le maréchal a repris son avance ; mais le petit capitaine se défend comme un lion…

Dix-sept ! dix-huit ! dix-neuf !…

À peine a-t-on le temps de marquer les points. Le bruit de la bataille se rapproche.