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cela nous montait. Nous chantions, nous bousculions en passant les petits marchands des rues qui relevaient bien vite leurs étalages, leurs éventaires comme les jours de grand vent. Quelquefois, en arrivant au canal, les ponts des écluses étaient déjà tournés. Des fiacres, des camions s’arrêtaient là. Les cochers juraient, le monde s’inquiétait. Nous escaladions en courant cette grande passerelle toute en marches qui séparait alors le faubourg de la rue du Temple, et nous arrivions sur les boulevards.

C’est ça qui est amusant, le boulevard, les mardis gras et les jours d’émeute. Presque pas de voitures ; on pouvait galoper à son aise sur cette grande chaussée. En nous voyant passer, les boutiquiers de ces quartiers savaient bien ce que cela voulait dire, et fermaient vite leurs magasins. On entendait claquer les volets ; mais tout de même, une fois la boutique fermée, ces gens-là se tenaient sur le trottoir devant leurs portes, parce que chez les Parisiens la curiosité est plus forte que tout.

Enfin nous apercevions une masse noire, la foule, l’encombrement. C’était là !… Seulement pour bien voir, il s’agissait d’être au premier rang ; et dam ! on en recevait de ces taloches… Pourtant, à force de pousser, de bousculer, de se glisser entre les jambes, nous finissions par arriver… Une fois bien placés, en avant de