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moment de se mettre à table, la mère ne manquait jamais de nous dire :

« Tenez-vous tranquilles, les enfants… Le père n’est pas content, rapport aux affaires de la politique. »

Moi, vous pensez, je n’y comprenais pas grand’chose, à ces sacrées affaires. Tout de même, il y avait des mots qui m’entraient dans la tête, à force de les entendre, comme par exemple :

« Cette canaille de Guizot, qui est allé à Gand ! »

Je ne savais pas bien ce que c’était que ce Guizot, ni ce que cela voulait dire d’être allé à Gand ; mais c’est égal ! je répétais avec les autres :

« Canaille de Guizot !… Canaille de Guizot !… »

Et j’y allais d’autant plus de bon cœur à l’appeler canaille, ce pauvre M. Guizot, que, dans ma tête, je le confondais avec un grand coquin de sergent de ville qui se tenait au coin de la rue de l’Orillon et me faisait toujours des misères, par rapport à ma charrette de copeaux… Personne ne l’aimait dans le quartier, ce grand rouge-là ! Les chiens, les enfants, tout le monde était après ; il n’y avait que le marchand de vin qui, de temps en temps, pour l’amadouer, lui glissait un verre de vin dans l’entrebâil-