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chez lui… En montant l’escalier, le silence de la maison endormie qui lui renvoyait son pas lourd le gênait comme un remords. Il parlait seul, tout haut, s’arrêtant devant chaque taudis : « Bonsoir, ma’me Weber… bonsoir ma’me Mathieu. » Et si on ne lui répondait pas, c’était une bordée d’injures, jusqu’au moment où toutes les portes, toutes les fenêtres s’ouvraient pour lui renvoyer ses malédictions. C’est ce qu’il demandait. Son vin aimait le train, les querelles. Et puis, comme cela, il s’échauffait, arrivait en colère, et sa rentrée lui faisait moins peur.

Elle était terrible, cette rentrée…

« Ouvre, c’est moi… »

J’entendais les pieds nus de la femme sur le carreau, le frottement des allumettes, et l’homme qui, dès en entrant, essayait de bégayer une histoire, toujours la même : les camarades, l’entraînement… « Chose, tu sais bien… Chose qui travaille au chemin de fer. » La femme ne l’écoutait pas :

« Et l’argent ?

— J’en ai plus, disait la voix d’Arthur.

— Tu mens !… »

Il mentait, en effet. Même dans l’entraînement du vin, il réservait toujours quelques sous, pensant à sa soif du lundi ; et c’est ce restant de paye qu’elle essayait de lui arracher. Arthur se débattait.