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son chef, et s’applique à ne pas gagner, à ne pas perdre non plus trop facilement. C’est ce qu’on appelle un officier d’avenir…

Attention, jeune homme, tenons-nous bien ! Le maréchal en a quinze et vous dix. Il s’agit de mener la partie jusqu’au bout comme cela, et vous aurez fait plus pour votre avancement que si vous étiez dehors avec les autres, sous ces torrents d’eau qui noient l’horizon, à salir votre bel uniforme, à ternir l’or de vos aiguillettes, attendant des ordres qui ne viennent pas.

C’est une partie vraiment intéressante. Les billes courent, se frôlent, croisent leurs couleurs. Les bandes rendent bien, le tapis s’échauffe… Soudain la flamme d’un coup de canon passe dans le ciel. Un bruit sourd fait trembler les vitres. Tout le monde tressaille ; on se regarde avec inquiétude. Seul le maréchal n’a rien vu, rien entendu : penché sur le billard, il est en train de combiner un magnifique effet de recul ; c’est son fort, à lui, les effets de recul !…

Mais voilà un nouvel éclair, puis un autre. Les coups de canon se succèdent, se précipitent. Les aides de camp courent aux fenêtres. Est-ce que les Prussiens attaqueraient ?

« Eh bien, qu’ils attaquent ! dit le maréchal en mettant du blanc… À vous de jouer, capitaine. »

L’état-major frémit d’admiration. Turenne