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« Tiens ! vous voilà… » Par hasard, je le connaissais un peu. C’était un de ces brasseurs d’affaires comme il en pousse tant entre les pavés de Paris ; homme à inventions, fondateur de journaux impossibles, autour duquel il s’était fait pendant un certain temps beaucoup de réclames et de bruit imprimé, et qui, depuis trois mois avait disparu dans un formidable plongeon. Après un bouillonnement de quelques jours à l’endroit de sa chute, le flot s’était uni, refermé, et il n’avait plus été question de lui. En me voyant, il se troubla, et pour couper court à toute question, sans doute aussi pour détourner mon regard de sa tenue sordide et de son sou de pain, il se mit à me parler très vite, d’un ton faussement joyeux… Ses affaires allaient bien, très bien… Ça n’avait été qu’un temps d’arrêt. En ce moment, il tenait une affaire magnifique… Un grand journal industriel à images… Beaucoup d’argent, un traité d’annonces superbes !… Et sa figure s’animait en parlant. Sa taille se redressait. Peu à peu il prit un ton protecteur, comme s’il était déjà dans son bureau de rédaction, me demanda même des articles.

« Et vous savez, ajouta-t-il, d’un air de triomphe, c’est une affaire sûre… je commence avec trois cent mille francs que m’a promis Girardin ! »