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dans le plat rouge avec un petit parfum de caramel ; et cette jolie chanson l’empêche d’entendre le bruit d’eau, le sinistre bruit d’eau.

« Quand vous voudrez, greffier !… » dit une voix enrouée dans la pièce du fond. Il jette un regard sur ses pommes, et s’en va bien à regret. Où va-t-il ? Par la porte entr’ouverte une minute, il vient un air fade et froid qui sent les roseaux, le marécage, et comme une vision de hardes en train de sécher sur des cordes, des blouses fanées, des bourgerons, une robe d’indienne pendue tout de son long par les manches, et qui s’égoutte, qui s’égoutte.

C’est fini. Le voilà qui rentre. Il dépose sur sa table de menus objets tout trempés d’eau et revient frileusement vers le poêle dégourdir ses mains rouges de froid.

« Il faut être enragé vraiment, par ce temps-là… se dit-il en frissonnant ; qu’est-ce qu’elles ont donc toutes ? »

Et comme il est bien réchauffé, et que son sucre commence à faire la perle aux bords du plat, il se met à déjeuner sur un coin de son bureau. Tout en mangeant, il a ouvert un de ses registres et le feuillette avec complaisance. Il est si bien tenu ce grand livre ! Des lignes droites, des entêtes à l’encre bleue, des petits