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reau, étriqués et minces, aux waterproofs des fillettes de magasin, aux petits voiles flasques, aux grands cartons de toile cirée. Mais sur les quais encore déserts, sur les ponts, la berge, la rivière, c’est une brume lourde, opaque, immobile, où le soleil monte, là-haut, derrière Notre-Dame, avec des lueurs de veilleuse dans un verre dépoli.

Malgré le vent, malgré la brume, l’homme en question suit les quais, toujours les quais, pour aller à son bureau. Il pourrait prendre un autre chemin, mais la rivière paraît avoir un attrait mystérieux sur lui. C’est son plaisir de s’en aller le long des parapets, de frôler ces rampes de pierre usées aux coudes des flâneurs. À cette heure, et par le temps qu’il fait, les flâneurs sont rares. Pourtant, de loin en loin, on rencontre une femme chargée de linge qui se repose contre le parapet, ou quelque pauvre diable accoudé, penché vers l’eau d’un air d’ennui. Chaque fois l’homme se retourne, les regarde curieusement, et l’eau après eux, comme si une pensée intime mêlait dans son esprit ces gens à la rivière.

Elle n’est pas gaie, ce matin, la rivière. Ce brouillard qui monte entre les vagues semble l’alourdir. Les toits sombres des rives, tous ces tuyaux de cheminée inégaux et penchés qui se reflètent, se croisent et fument au milieu de