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au moment du procès, à présent elle me fait envie. C’est un but, un repos. Et je suis si las ! Il y a des moments où tout ce que j’ai vu depuis vingt mois me tourne devant les yeux, à me donner le vertige. C’est le siège des Prussiens, les remparts, l’exercice ; ensuite les clubs, les enterrements civils avec des immortelles à la boutonnière, les discours au pied de la Colonne, les fêtes de la Commune à l’Hôtel de ville, les revues de Cluseret, les sorties, la bataille, la gare de Clamart et tous ces petits murs où l’on s’abritait pour tirer sur les gendarmes ; ensuite Satory, les pontons, les commissaires, les transbordements d’un navire à l’autre, ces allées et venues qui vous faisaient dix fois prisonniers par les changements de prisons ; enfin la salle des conseils de guerre, tous ces officiers en grand costume assis au fond en fer à cheval, les voitures cellulaires, l’embarquement, le départ, tout cela confondu dans le tangage et l’abasourdissement des premiers jours de mer.

Ouf !

J’ai comme un masque de fatigue, de poussière, de je ne sais pas quoi collé sur la figure. Il me semble que je ne me suis pas lavé depuis dix ans.

Oh ! oui, ça va me sembler bon de prendre pied quelque part, de faire halte. Ils disent