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éclair blanc passait devant ses yeux comme pour le narguer, puis disparaissait au milieu de cette houle d’uniformes, de blouses, de haillons.

Enfin, au jour tombant, on arriva dans Versailles ; et quand la foule vit ce vieux bourgeois à lunettes, débraillé, poussiéreux, hagard, tout le monde fut d’accord pour lui trouver une tête de scélérat. On disait :

« C’est Félix Pyat… Non ! c’est Delescluze. »

Les chasseurs de l’escorte eurent beaucoup de peine à l’amener sain et sauf jusqu’à la cour de l’Orangerie. Là seulement le pauvre troupeau put se disperser, s’allonger sur le sol, reprendre haleine. Il y en avait qui dormaient, d’autres qui juraient, d’autres qui toussaient, d’autres qui pleuraient ; Bonnicar, lui, ne dormait pas, ne pleurait pas. Assis au bord d’un perron, la tête dans ses mains, aux trois quarts mort de faim, de honte, de fatigue, il revoyait en esprit cette malheureuse journée, son départ de là-bas, ses convives inquiets, ce couvert mis jusqu’au soir et qui devait l’attendre encore, puis l’humiliation, les injures, les coups de crosse, tout cela pour un pâtissier inexact.

« Monsieur Bonnicar, voilà vos petits pâtés !… » dit tout à coup une voix près de lui ; et le bonhomme, en levant la tête, fut bien