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III


Les prisonniers marchaient cinq par cinq, en rangs pressés et compacts. Pour empêcher le convoi de s’éparpiller, on les obligeait à se donner le bras ; et le long troupeau humain faisait, en piétinant dans la poussière de la route, comme le bruit d’une grande pluie d’orage.

Le malheureux Bonnicar croyait rêver. Suant, soufflant, ahuri de peur et de fatigue, il se traînait à la queue de la colonne entre deux vieilles sorcières qui sentaient le pétrole et l’eau-de-vie ; et d’entendre ces mots de : « Pâtissier, petits pâtés », qui revenaient toujours dans ses imprécations, on pensait autour de lui qu’il était devenu fou.

Le fait est que le pauvre homme n’avait plus sa tête. Aux montées, aux descentes, quand les rangs du convoi se desserraient un peu, est-ce qu’il ne se figurait pas voir, là-bas, dans la poussière qui remplissait les vides, la veste blanche et la barrette du petit garçon de chez Sureau ? Et cela dix fois dans la route ! Ce petit