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diait, on entendait les ronflements des dormeurs obstinés qui cherchaient les coins, se retournaient contre la lumière en grognant.

Soudain, un éclair blanc passa entre les planches et fit pâlir la flamme rouge des chandelles. En même temps un coup sourd ébranla la baraque, et presque aussitôt d’autres coups, plus sourds, plus lointains, roulèrent là-bas sur les coteaux de Champigny, en saccades diminuées. C’était la bataille qui recommençait.

Mais MM. les amateurs se moquaient bien de la bataille !

Cette estrade, ces quatre chandelles avaient remué dans tout ce peuple je ne sais quels instincts de cabotinage. Il fallait les voir guetter le dernier couplet, s’arracher les romances de la bouche. Personne ne sentait plus le froid. Ceux qui étaient sur l’estrade, ceux qui en descendaient, et aussi ceux qui attendaient leur tour, la romance au bord du gosier, tous étaient rouges, suants, l’œil allumé. La vanité leur tenait chaud.

Il y avait là des célébrités du quartier, un tapissier poète qui demanda à dire une chansonnette de sa composition, l’Égoïste, avec le refrain : Chacun pour soi. Et, comme il avait un défaut de langue, il disait : l’Égoïfte et Facun pour foi. C’était une satire contre les bourgeois ventrus qui aiment mieux rester au coin de