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Deux mois se passèrent ainsi. Paris, en ces deux mois, avait bien fait des choses ; mais Kadour ne s’en doutait pas. Il avait entendu passer sous ses fenêtres le troupeau las et désarmé qui rentrait ; plus tard, les canons promenés, roulés du matin au soir, puis le tocsin, la canonnade. À tout cela, il ne comprit rien, sinon qu’on était toujours en guerre et qu’il allait pouvoir se battre, puisque ses jambes étaient guéries. Le voilà parti, son tambour sur le dos, en quête de sa compagnie. Il ne chercha pas longtemps. Des fédérés qui passaient l’emmenèrent à la Place. Après un long interrogatoire, comme on n’en pouvait rien tirer que des bono bezef, macache bono, le général de ce jour-là finit par lui donner dix francs, un cheval d’omnibus, et l’attacha à son état-major.

Il y avait un peu de tout dans ces états-majors de la Commune, des souquenilles rouges, des mantes polonaises, des justaucorps hongrois, des vareuses de marin, et de l’or, du velours, des paillons, des chamarrures. Avec sa veste bleue, brodée de jaune, son turban, sa derbouka, le turco vint compléter la mascarade. Tout joyeux de se trouver en si belle compagnie, grisé par le soleil, la canonnade, le train des rues, cette confusion d’armes et d’uniformes, persuadé d’ailleurs que c’était la guerre