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à lui, Si-Sliman se crut sauvé. Pour sûr l’Empereur allait lui rendre sa croix. C’était l’affaire de huit jours de voyage, et il le croyait si bien qu’il voulut que son goum l’attendît aux portes d’Alger. Le paquebot du lendemain l’emportait vers Paris, plein de recueillement et de sérénité comme pour un pèlerinage à La Mecque.

Pauvre Si-Sliman ! Il y avait quatre mois qu’il était parti, et les lettres qu’il envoyait à ses femmes ne parlaient pas encore du retour. Depuis quatre mois, le malheureux aga était perdu dans le brouillard parisien, passant sa vie à courir les ministères, berné partout, pris dans le formidable engrenage de l’administration française, renvoyé de bureau en bureau, salissant ses burnous sur les coffres à bois des antichambres, à l’affût d’une audience qui n’arrivait jamais ; puis, le soir, on le voyait, avec sa longue figure triste, ridicule à force de majesté, attendant sa clef dans un bureau d’hôtel garni, et il remontait chez lui, las de courses, de démarches, mais toujours fier, cramponné à l’espoir, s’acharnant comme un décavé à courir après son honneur…

Pendant ce temps-là, ses cavaliers, accroupis à la porte de Bab-Azoun, attendaient avec le fatalisme oriental ; les chevaux, au piquet, hennissaient du côté de la mer. Dans la tribu,