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Ces villages arabes de la plaine sont tellement enfouis dans les cactus et les figuiers de Barbarie, leurs gourbis de terre sèche sont bâtis si ras du sol, que nous étions au milieu du douar avant de l’avoir aperçu. Était-ce l’heure, la pluie, ce grand silence ?… Mais le pays me parut bien triste et comme sous le poids d’une angoisse qui y avait suspendu la vie. Dans les champs, tout autour, la récolte s’en allait à l’abandon. Les blés, les orges, rentrés partout ailleurs, étaient là couchés, en train de pourrir sur place. Des herses, des charrues rouillées traînaient, oubliées sous la pluie. Toute la tribu avait ce même air de tristesse délabrée et d’indifférence. C’est à peine si les chiens aboyaient à notre approche. De temps en temps, au fond d’un gourbi, on entendait des cris d’enfants, et l’on voyait passer dans le fourré la tête rase d’un gamin ou le haïck troué de quelque vieux. Çà et là, de petits ânes grelottant sous les buissons. Mais pas un cheval, pas un homme, comme si on était encore au temps des grandes guerres et tous les cavaliers partis depuis des mois.

La maison de l’aga, espèce de longue ferme aux murs blancs, sans fenêtres, ne paraissait pas plus vivante que les autres. Nous trouvâmes les écuries ouvertes, les box et les