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loppé dans ces lueurs du couchant, que sa margelle usée semblait de marbre rose ; le seau ramenait de la flamme, la corde ruisselait de gouttes de feu…

Peu à peu cette belle couleur de rubis s’éteignait, passait à la mélancolie du lilas. Puis le lilas lui-même s’étalait en s’assombrissant. Un bruissement confus courait jusqu’au bout de l’immense plaine ; et tout à coup, dans le noir, dans le silence, éclatait la musique sauvage des nuits d’Afrique, clameurs éperdues des cigognes, aboiements des chacals et des hyènes, et de loin en loin, un mugissement sourd, presque solennel, qui faisait frissonner les chevaux dans les écuries, les chameaux sous les hangars des cours…

Oh ! comme cela semblait bon, en sortant tout transi de ces flots d’ombre, de descendre dans la salle à manger du caravansérail et d’y trouver le rire, la chaleur, les lumières, ce beau luxe de linge frais et de cristaux clairs qui est si français ! Il y avait là, pour vous faire les honneurs de la table, Mme  Schontz, une ancienne beauté de Mulhouse, et la jolie Mlle  Schontz, que sa joue en fleur un peu hâlée et sa coiffe alsacienne aux ailes de tulle noir faisaient ressembler à une rose sauvage de Guebwiller ou de Rouge-Goutte sur laquelle se serait posé un papillon… Ètaient-ce