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une charrue modèle, des Maltais jouent aux cartes sur une mesure à blé. Les voyageurs descendent, on change de chevaux ; la cour est encombrée. C’est un spahi à manteau rouge qui fait la fantasia pour les filles de l’auberge, deux gendarmes arrêtés devant la cuisine, buvant un coup sans quitter l’étrier ; dans un coin, des juifs algériens en bas bleus, en casquette, qui dorment sur des ballots de laine, en attendant l’ouverture du marché ; car deux fois par semaine un grand marché arabe se tenait sous les murs du caravansérail.

Ces jours-là, en ouvrant ma fenêtre le matin, j’avais en face de moi un fouillis de petites tentes, une houle bruyante et colorée où les chéchias rouges des Kabyles éclataient comme des coquelicots dans un champ, et c’était jusqu’au soir des cris, des disputes, un fourmillement de silhouettes au soleil. Au jour tombant, les tentes se pliaient ; hommes, chevaux, tout disparaissait, s’en allait avec la lumière, comme un de ces petits mondes tourbillonnants que le soleil emporte dans ses rayons. Le plateau restait nu, la plaine redevenait silencieuse, et le crépuscule d’Orient passait dans l’air avec ses teintes irisées et fugitives comme des bulles de savon… Pendant dix minutes, tout l’espace était rose. Il y avait, je me rappelle, à la porte du caravansérail, un vieux puits si bien enve-