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berge d’en haut, les nuages étaient au-dessous de nous. Quelques sapins les dépassaient du faîte ; mais, à mesure que nous descendions, nous entrions positivement dans le vent, dans la pluie, dans la grêle. Bientôt nous fûmes pris, enlacés dans un réseau d’éclairs. Tout près de nous un sapin roula foudroyé, et tandis que nous dégringolions un petit chemin de schlitage, nous vîmes à travers un voile d’eau ruisselante un groupe de petites filles abritées dans un creux de roches. Épeurées, serrées les unes contre les autres, elles tenaient à pleines mains leurs tabliers d’indienne et de petits paniers d’osier remplis de mirtilles noires, fraîches cueillies. Les fruits luisaient avec des points de lumière, et les petits yeux noirs qui nous regardaient du fond du rocher ressemblaient aussi à des myrtilles mouillées. Ce grand sapin étendu sur la pente, ces coups de tonnerre, ces petits coureurs de forêts déguenillés et charmants, on aurait dit un conte du chanoine Schmidt…

Mais aussi quelle bonne flambée en arrivant à Rouge-Goutte ! Quel beau feu de foyer pour sécher nos hardes, pendant que l’omelette sautait dans la flamme, l’inimitable omelette d’Alsace, craquante et dorée comme un gâteau.

C’est le lendemain de cet orage que je vis une chose saisissante.