Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1880.djvu/166

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cherchait un but, un asile, et l’on se couchait, harassé, soit dans un lit d’auberge, soit dans une grange ouverte, ou bien au pied d’une meule, à la belle étoile, parmi des murmures d’oiseaux, des fourmillements d’insectes sous les feuilles, des bonds légers, des vols silencieux, tous ces bruits de la nuit qui, dans la grande fatigue, semblent des commencements de rêve…

Comment s’appelaient-ils tous ces jolis villages alsaciens que nous rencontrions espacés au bord des routes ? Je ne me rappelle plus aucun nom maintenant, mais ils se ressemblent tous si bien, surtout dans le Haut-Rhin, qu’après en avoir tant traversé à différentes heures, il me semble que je n’en ai vu qu’un ; la grande rue, les petits vitraux encadrés de plomb, enguirlandés de houblon et de roses, les portes à claire-voie où les vieux s’appuyaient en fumant leurs grosses pipes, où les femmes se penchaient pour appeler les enfants sur la route… Le matin, quand nous passions, tout cela dormait. À peine entendions-nous remuer la paille des étables ou le souffle haletant des chiens sous les portes. Deux lieues plus loin, le village s’éveillait. Il y avait un bruit de volets ouverts, de seaux heurtés, de ruisseaux emplis ; lourdement les vaches allaient à l’abreuvoir en chassant les mouches avec leurs longues queues. Plus loin encore,