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troupes du monde, démoralisées par l’inaction, le manque de vivres, de nouvelles, mouraient de fièvre et d’ennui au pied de leurs faisceaux. Ni chefs ni soldats, personne ne croyait plus ; seul, Hornus avait encore confiance. Sa loque tricolore lui tenait lieu de tout, et tant qu’il la sentait là, il lui semblait que rien n’était perdu. Malheureusement, comme on ne se battait plus, le colonel gardait le drapeau chez lui dans un des faubourgs de Metz ; et le brave Hornus était à peu près comme une mère qui a son enfant en nourrice. Il y pensait sans cesse. Alors, quand l’ennui le tenait trop fort, il s’en allait à Metz tout d’une course, et rien que de l’avoir vu toujours à la même place, bien tranquille contre le mur, il s’en revenait plein de courage, de patience, rapportant sous sa tente trempée, des rêves de bataille, de marche en avant, avec les trois couleurs toutes grandes déployées flottant là-bas sur les tranchées prussiennes.

Un ordre du jour du maréchal Bazaine fit crouler ces illusions. Un matin, Hornus, en s’éveillant, vit tout le camp en rumeur, les soldats par groupes, très animés, s’excitant, avec des cris de rage, des poings levés tous du même côté de la ville, comme si leur colère désignait un coupable. On criait : « Enlevons-le !… Qu’on le fusille !… » Et les officiers lais-