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haut, au-dessus de la mort, de la trahison, de la déroute.

Vous n’avez jamais vu d’homme si heureux qu’Hornus les jours de bataille, lorsqu’il tenait sa hampe à deux mains, bien affermie dans son étui de cuir. Il ne parlait pas, il ne bougeait pas. Sérieux comme un prêtre, on aurait dit qu’il tenait quelque chose de sacré. Toute sa vie, toute sa force étaient dans ses doigts crispés autour de ce beau haillon doré sur lequel se ruaient les balles, et dans ses yeux pleins de défi qui regardaient les Prussiens bien en face, d’un air de dire : « Essayez donc de venir me le prendre !… »

Personne ne l’essaya, pas même la mort. Après Borny, après Gravelotte, les batailles les plus meurtrières, le drapeau s’en allait de partout, haché, troué, transparent de blessures ; mais c’était toujours le vieil Hornus qui le portait.


III


Puis septembre arriva, l’armée sous Metz, le blocus, et cette longue halte dans la boue où les canons se rouillaient, où les premières