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baret et décroché son enseigne… Les autres cafetiers ont fait des affaires d’or pendant la guerre ; lui n’a pas seulement vendu pour un sou… Pis que cela. Il s’est fait mettre en prison avec ses insolences… C’est eun’ bête, que je te dis… Est-ce que ça le regardait, lui, toutes ces histoires ? Est-ce qu’il était militaire ?… Il n’avait qu’à fournir du vin et de l’eau-de-vie à la pratique ; maintenant il pourrait me payer… Canaille, va ! je t’apprendrai à faire le patriote ! »

Et, rouge d’indignation, il se démenait dans sa grande redingote, avec les gestes balourds des gens de campagne habitués au bourgeron. À mesure qu’il parlait, les yeux clairs de la fermière, tout à l’heure si pleins de compassion pour les Mazilier, devenaient secs, presque méprisants. C’était une paysanne, elle aussi, et ces gens-là n’estiment guère ceux qui refusent de gagner de l’argent. D’abord elle disait : « C’est ben malheureux pour la femme », puis un moment après : « Ça ! c’est vrai… Il ne faut pas tourner le dos à la chance… » Sa conclusion fut : « Vous avez raison, mon vieux père, quand on doit, il faut payer. » Chachignot, lui, répétait toujours entre ses dents serrées :

« C’est eun’ bête… C’est eun’ bête… »

Le passeur, qui les écoutait tout en manœu-