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à Petit-Bry voir si les Saxons y sont revenus. Je passe avec eux. Pendant que le bachot traverse, un des éclaireurs assis à l’arrière me dit tout bas :

« Si vous voulez des chassepots, la mairie de Petit-Bry en est pleine. Ils y ont laissé aussi un colonel de la ligne, un grand blond, la peau blanche comme une femme, et des bottes jaunes toutes neuves. »

Ce sont les bottes du mort qui l’ont surtout frappé. Il y revient toujours :

« Vingt dieux ! les belles bottes ! » Et ses yeux brillent en m’en parlant.

Au moment d’entrer dans Petit-Bry, un marin chaussé d’espadrilles, quatre ou cinq chassepots sur les bras, déboule d’une ruelle et vient vers nous en courant :

« Ouvrez l’œil, voilà les Prussiens. »

On se blottit derrière un petit mur et on regarde.

Au-dessus de nous, tout en haut des vignes, c’est d’abord un cavalier, silhouette mélodramatique, penché en avant sur sa selle, le casque en tête, le mousqueton au poing. D’autres cavaliers viennent ensuite, puis des fantassins qui se répandent dans les vignes en rampant.

Un d’eux — tout près de nous — a pris position derrière un arbre et n’en bouge plus ; un grand diable à la longue capote brune, un