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sauter. Dans le pays, des hommes allaient, frappant de porte en porte :

« Les uhlans ! les uhlans ! sauvez-vous . »

Vite, vite, on s’est levé, on a attelé la charrette, habillé les enfants à moitié endormis, et l’on s’est sauvé par la traverse avec quelques voisins. Comme ils achevaient de monter la côte, le clocher a sonné trois heures. Ils se sont retournés une dernière fois. L’abreuvoir, la place de l’Église, leurs chemins habituels, celui qui descend vers la Seine, celui qui file entre les vignes, tout leur semblait déjà étranger, et, dans le brouillard blanc du matin, le petit village abandonné serrait ses maisons l’une contre l’autre, comme frissonnant d’une attente terrible.

Ils sont à Paris maintenant. Deux chambres au quatrième dans une rue triste… L’homme, lui, n’est pas trop malheureux. On lui a trouvé de l’ouvrage ; puis il est de la garde nationale, il a le rempart, l’exercice, et s’étourdit le plus qu’il peut pour oublier son grenier vide et ses prés sans semence. La femme, plus sauvage, se désole, s’ennuie, ne sait que devenir. Elle a mis ses deux aînées à l’école, et dans l’internat sombre, sans jardin, les fillettes étouffent en se rappelant leur joli couvent de campagne, bourdonnant et gai comme une ruche et la demi-lieue à travers bois qu’il fallait faire tous