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des bœufs entravés qui mugissaient sur des charrettes ; sur le bord, au long des fossés, de pauvres gens s’en allaient à pied derrière de petites voitures à bras pleines de meubles de l’ancien temps, des bergères fanées, des tables Empire, des miroirs garnis de perse, et l’on sentait quelle détresse avait dû entrer au logis pour remuer toutes ces poussières, déplacer toutes ces reliques et les traîner à tas par les grands chemins.

Aux portes de Paris, on s’étouffait. Il fallut attendre deux heures… Pendant ce temps, le pauvre homme, pressé contre sa vache, regardait avec effarement les embrasures des canons, les fossés remplis d’eau, les fortifications qui montaient à vue d’œil et les longs peupliers d’Italie abattus et flétris sur le bord de la route… Le soir, il s’en revint consterné, et raconta à sa femme tout ce qu’il avait vu. La femme eut peur, voulut s’en aller dès le lendemain. Mais, d’un lendemain à l’autre, le départ se trouvait toujours retardé… C’était une récolte à faire, une pièce de terre qu’on voulait encore labourer… Qui sait si on n’aurait pas le temps de rentrer le vin ?… Et puis, au fond du cœur, une vague espérance que peut-être les Prussiens ne passeraient pas leur endroit.

Une nuit, ils sont réveillés par une détonation formidable. Le pont de Corbeil venait de