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temps, quelqu’un passait dans le chemin, et on causait en tirant l’aiguille…

Une fois, c’était vers la fin du mois d’août, toujours le mois d’août, j’entendis la femme qui disait à une voisine :

« Allons donc, les Prussiens !… Est-ce qu’ils sont en France, seulement ?

— Ils sont à Châlons, mère Jean !… » lui criai-je par ma fenêtre. Cela la fit rire beaucoup… Dans ce petit coin de Seine-et-Oise, les paysans ne croyaient pas à l’invasion.

Tous les jours, cependant, on voyait passer des voitures chargées de bagages. Les maisons des bourgeois se fermaient, et dans ce beau mois où les journées sont si longues, les jardins achevaient de fleurir, déserts et mornes derrière leurs grilles closes… Peu à peu, mes voisins commencèrent à s’alarmer. Chaque nouveau départ dans le pays les rendait tristes. Ils se sentaient abandonnés… Puis, un matin, un roulement de tambours aux quatre coins du village ! Ordre de la mairie. Il fallait aller à Paris vendre la vache, les fourrages, ne rien laisser pour les Prussiens… L’homme partit pour Paris, et ce fut un triste voyage. Sur le pavé de la grand-route, de lourdes voitures de déménagement se suivaient à la file, pêle-mêle, avec des troupeaux de porcs et de moutons qui s’effaraient entre les roues,