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Il y a une jolie pièce d’une vingtaine d’années que je connais Marcel Proust. En 1896, j’achevais un roman, à l’automne, dans la solitude exquise de l’Hôtel d’Angleterre à Fontainebleau – je ne sais s’il existe toujours – le plus confortable et le plus agréable que j’aie jamais connu, grâce à l’affabilité de ses propriétaires, M. et Mme Dumaine. J’eus la surprise de voir arriver un soir, dans la salle à manger où je faisais durer le plaisir d’un perdreau rôti selon le rite, ce cher Marcel, tout jeune alors, avec ses yeux d’un gris bleu, à reflets noirs et effarouchés, de faon et ses manières ultra modestes et d’une exquise courtoisie. Après s’être mille fois excusé auprès du maître d’hôtel pour le dérangement qu’il allait lui donner et le fardeau d’avoir à servir une personne en plus, il m’exprima sa désolation d’accaparer, fût-ce un instant, l’expérience gastronomique de l’auteur des Morticoles. Nous passâmes ensemble, nous promenant le jour en forêt, devisant le soir au coin du feu, dans le salon désert et discret, une semaine charmante. Je m’aperçus alors que j’avais affaire à un esprit de premier ordre, d’une culture infinie et dissimu-