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LES ROIS EN EXIL

nerveuses, et dont elle ne sortit que par un sursaut d’épouvante.

— Zara ?… Où est Zara ?… criait-elle.

Une de ses femmes s’approcha du lit, la rassura doucement : S. A. R. le comte de Zara dormait, bien tranquille, dans sa chambre ; madame Éléonore était auprès de lui.

— Et le roi ?

— Sorti depuis midi dans une des voitures de l’hôtel.

— Tout seul ?

Non. Sa Majesté avait emmené le conseiller Boscovich avec elle… À mesure que la servante parlait dans son patois dalmate, sonore et dur comme un flot roulant des galets, la reine sentait se dissiper ses terreurs ; et peu à peu la paisible chambre d’hôtel qu’elle n’avait fait qu’entrevoir, en arrivant, au petit jour, lui apparaissait dans sa banalité rassurante et luxueuse, ses claires tentures, ses hautes glaces, le blanc laineux de ses tapis où le vol silencieux et vif des hirondelles tombait en ombre des stores, s’entre-croisait en larges papillons de nuit.

— Déjà cinq heures !… Allons, Petscha, coiffe-moi vite… J’ai honte d’avoir tant dormi.

Cinq heures, et la journée la plus admirable dont l’été de 1872 eût encore égayé les Parisiens. Quand la reine s’avança sur le balcon,