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LES ROIS EN EXIL

émaux, faisant sonner les bronzes, d’un air indifférent, méprisant même, tandis que des pieds à la tête, du bout des ongles à la pointe de sa barbe plate, tout son corps vibrait, pétillait comme si on l’avait mis en communication avec une pile électrique. Le Pichery n’était pas moins amusant à observer. N’ayant aucune notion d’art, aucun goût personnel, il modelait ses impressions sur celles de son compère, montrait la même moue dédaigneuse, vite tournée en stupéfaction, quand Leemans lui disait tout bas, penché sur le carnet où il ne cessait de prendre des notes : « Ça vaut cent mille francs comme un sou… » Il y avait là pour tous deux une occasion unique de se rattraper du « Grand Coup » où ils s’étaient fait si supérieurement rouler. Mais il fallait bien se tenir, car l’ancien général des pandours, aussi méfiant et impénétrable que toute la brocante ensemble, les suivait pas à pas, se plantait derrière eux sans être dupe une fois de leurs mines.

On arriva ainsi au bout des salons de réception, à une petite pièce exhaussée de deux marches, délicieusement ornée dans le goût mauresque de divans très bas, de tapis, de cabinets authentiques.

— Ceci en est-il aussi ? demanda Leemans.

Le général hésita imperceptiblement avant de répondre. C’était l’abri de Colette dans