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LES ROIS EN EXIL

Une fois, au jour tombant, il s’était allongé à même cette fraîcheur du pré, les yeux vers la maison là-bas, où s’éteignaient des rayons dans l’entrelacement des branches. Les joueurs de boules s’en allaient, les gardes commençaient leur ronde du soir, les hirondelles naviguaient en grands cercles au-dessus des plus hautes herbes, à la poursuite des moucherons descendus avec le soleil. L’heure était mélancolique. Élisée s’y abîmait, las d’esprit et de corps, laissant parler en lui tous ses souvenirs, toutes ses inquiétudes, comme il arrive dans ces silences de la nature où nos luttes intérieures peuvent espérer se faire entendre. Tout à coup, son regard, qui ne cherchait rien, rencontra devant lui la démarche mal équilibrée, le chapeau de quaker, le gilet blanc et les guêtres de Boscovich. M. le conseiller s’en allait rapidement, à tout petits pas de femme, très agité et tenant précieusement à la main un objet entortillé de son mouchoir. Il ne parut pas surpris en voyant Élisée, l’aborda comme si rien ne s’était passé, de l’air et du ton le plus naturels du monde.

— Mon cher Méraut, vous voyez un homme bien content.

— Ah ! mon Dieu !… Quoi donc !… Est-ce que l’état de Monseigneur ?…

Le botaniste prit une figure de circonstance pour répondre que Monseigneur allait toujours