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LES ROIS EN EXIL

— Où est-il donc, M. Élisée ?… Pourquoi ne vient-il jamais ?

On lui répond que son maître est en voyage, et pour longtemps. Cette explication lui suffit. Penser le fatigue, parler aussi ; et il retombe dans sa morne indifférence, retourne au pays flottant qu’évoquent les malades, en mêlant leurs rêves aux lieux qui les entourent, aux fixes apparences des choses dont on craint pour eux le mouvement et le bruit. On entre, on sort ; des chuchotements, des pas discrets se croisent et se répondent. La reine n’entend rien, ne s’occupe de rien que de ses pansements. Parfois Christian pousse la porte toujours entrebâillée à cause de la chaleur de cette claustration, et d’une voix qu’il s’efforce de rendre joyeuse, insouciante, vient dire à son fils quelque drôlerie aimable, pour le faire rire ou parler. Mais sa voix sonne faux dans la catastrophe récente, et le père intimide l’enfant. Cette petite mémoire engloutie, que le coup de feu a remplie de la confusion de sa fumée, garde quelque trait surnageant des scènes passées, les attentes désespérées de la reine, ses révoltes le soir où elle a failli l’entraîner dans une chute de trois étages. Il répond tout bas, les dents serrées. Alors Christian s’adresse à sa femme : « Vous devriez vous reposer un peu, Frédérique, vous vous tuerez… Dans l’intérêt même de l’enfant… » Pressante, implorante,