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de respect ? Voyez-vous que, pour des tatillonnages de dévote ou des coquetteries de femme qui se croit irrésistible, on se privât de cet homme que Dieu avait certainement mis sur leur chemin pour le triomphe de la royauté !… Et dans son langage de marin, son emphase italienne atténuée d’un fin sourire de prêtre, il ajoutait qu’on n’ergote pas avec le bon vent que le ciel nous envoie. « On tend sa voile, et l’on fait de la route. » La femme la plus droite sera toujours faible devant les raisonnements spécieux. Vaincue par la casuistique du moine, Frédérique se dit qu’elle ne pouvait en effet priver la cause de son fils d’un pareil auxiliaire. C’était à elle de se garder, d’être forte. Que risquait-elle ? Elle arriva même à se persuader qu’elle s’était méprise au dévouement d’Élisée, à son amitié enthousiaste… La vérité, c’est qu’il l’aimait passionnément. Amour singulier, profond, chassé maintes fois, mais revenu lentement par des routes détournées, installé enfin avec le despotisme envahissant d’une conquête. Jusqu’alors Élisée Méraut s’était cru incapable d’un sentiment tendre. Parfois, dans ses prédications royalistes à travers le Quartier, quelque fille de bohème, sans comprendre un mot à ses discours, s’était affolée de lui pour la musique de sa voix, ce qui se dégageait de ses yeux de braise, de son front d’idéal, — le magnétique entraînement