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LES ROIS EN EXIL

Lebeau cherchait bien à les encourager : « Patience, patience… on arrivera… C’est fatal… » Mais lui ne fournissait rien et les autres entassaient dans leur portefeuille des rames de papier d’Illyrie. Le pauvre « père », qui n’avait plus son aplomb solide, venait chaque matin se faire rassurer rue de Messine chez sa fille et son gendre : « Alors vous croyez que nous réussirons ?… » Et il se résignait à escompter encore, à escompter toujours, puisque c’était la seule façon de courir après son argent que d’en lancer d’autre à la suite.

Une après-midi, la comtesse, s’apprêtant pour aller au Bois, petonnait de sa chambre à sa toilette sous l’œil paternel de J. Tom vautré le cigare aux dents sur une chaise longue, les doigts à l’entournure du gilet et jouissant de ce joli coup d’œil d’une femme qui s’habille, enfile ses gants devant la psyché, essaye ses poses de voiture. Elle était ravissante, le chapeau mis, le voile au bord des yeux, dans une toilette d’arrière-saison un peu étoffée et frileuse ; et le tintement de ses bracelets, des jais frémissants de sa mante, répondait au bruit luxueux de la voiture qui attendait sous les fenêtres, au cliquetis des harnais, au piaffement des chevaux, le tout faisant partie du même attelage aux armes d’Illyrie. Elle sortait avec Tom, l’emmenait faire un tour de lac, dans le premier jour parisien de la saison,