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LES ROIS EN EXIL

de l’avenue de Messine. L’agent des étrangers n’avait pu tenir plus longtemps à l’ennui de sa retraite à Courbevoie. Il lui manquait la vie des affaires, le trafic, par dessus tout l’admiration de Séphora. Enfin il était jaloux, d’une jalousie bête, entêtée, lancinante, comme une arête dans le gosier, que l’on croit partie et dont on sent tout à coup la piqûre. Et pas moyen de se plaindre à qui ce que soit, de dire : « Regardez donc ce que j’ai là au fond de la gorge. » Malheureux Tom Lévis, pris à son propre piège, inventeur et victime du Grand Coup !… Le voyage de Séphora à Fontainebleau l’inquiétait surtout. Il essaya de revenir plusieurs fois sur ce sujet, mais elle l’arrêtait d’un éclat de rire si naturel : « Qu’est-ce que tu as donc, mon pauvre Tom ?… Quelle bonne tête ! » Alors il était obligé de rire, lui aussi, comprenant bien qu’il n’y avait entre eux que de la drôlerie, de la blague, et que la fantaisie de Séphora, fantaisie de fille pour un queue-rouge, cesserait vite si elle le croyait jaloux, sentimental, « canulant » comme les autres. Au fond il souffrait, s’ennuyait de vivre loin d’elle, lui faisait même des vers. Oui, l’homme au cab, l’imaginatif Narcisse avait trouvé ce dérivatif à ses inquiétudes, un poème à Séphora, une de ces élucubrations bizarres, scandées par l’ignorance prétentieuse, comme on en confisque à Mazas sur la table des détenus. Vraiment, si