Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
382
LES ROIS EN EXIL

— Le roi, messieurs !

Christian II, très pâle, l’air visiblement soucieux, entra le premier, tenant son fils par la main. Le petit prince montrait une gravité de commande qui lui allait bien, augmentée par le veston noir et le pantalon qu’il portait pour la première fois avec une certaine fierté, une grâce sérieuse d’adolescent. La reine venait ensuite, très belle dans une somptueuse robe mauve couverte de dentelles, trop sincère aussi pour cacher sa joie qui éclatait au milieu de la tristesse environnante comme le clair de sa robe à côté des vêtements de deuil. Elle était si heureuse, si égoïstement heureuse, qu’elle ne se pencha pas une minute vers les sublimes détresses qui l’entouraient, pas plus qu’elle ne vit le jardin frissonnant, ce brouillard sur les vitres, le noir d’une semaine de Toussaint errant dans un ciel bas et mou, plein de brumes et de torpeur. Ce jour lui resta dans la mémoire, lumineux et réchauffant. Tant il est vrai que tout est dans nous, et que le monde extérieur se transforme, se colore aux mille nuances de nos passions.

Christian II se mit devant la cheminée au milieu du salon, ayant le comte de Zara à sa droite, la reine à sa gauche, un peu plus loin Boscovich dans son hermine de conseiller aulique, assis à une petite table de greffier. Tout le monde placé, le roi prit la parole très bas