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douleur, debout, la tête basse, les épaules frissonnantes et serrées, ils sentaient monter à leurs yeux les larmes qu’ils voyaient, à leurs lèvres le soupir si difficilement contenu à côté d’eux ; et bientôt une contagion nerveuse les gagnait, remplissait le salon d’un long sanglot brisé de cris, de gémissements étouffés. Seul, le vieux Rosen ne pleurait pas, et dressant sa taille haute, inflexible, continuait à faire signe impitoyablement :« Non… non… Il faut qu’il meure !… »

Le soir, au café de Londres, S. A. R. le prince d’Axel, convié à venir signer l’abdication, racontait qu’il avait cru assister à un enterrement de première classe, toute la famille réunie, attendant la levée du corps. C’est vrai que le prince royal faisait triste figure en entrant là. Il se sentait gelé, embarrassé par ce silence, ce désespoir, regardait avec terreur toutes ces vieilles parques, quand il aperçut la petite princesse de Rosen. Il alla vite s’asseoir près d’elle, curieux de connaître l’héroïne de ce fameux déjeuner du quai d’Orsay ; et pendant que Colette, au fond très flattée de l’attention, accueillait Son Altesse d’un sourire douloureux et sentimental, elle ne se doutait guère que ce regard glauque et voilé, penché vers elle, lui prenait la mesure exacte et précise d’un costume de mitronnet collant de partout sur son appétissante personne.