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LES ROIS EN EXIL

dans ma barque, aussi le cœur nous battait fort. C’est la patrie qu’on avait là devant soi, cette côte noire montant dans la brume terminée par une petite lumière rouge, le phare tournant de Gravosa. Tout de même le silence de la plage m’étonnait. Rien que le bruit des lames déferlantes, un long claquement d’étoffes mouillées, sans cette rumeur que fait la foule la plus mystérieuse, d’où s’échappe toujours un bruissement d’armes, un halètement de respirations contenues.

« — Je vois nos hommes !… dit San-Giorgio tout bas, près de moi.

« Nous nous aperçûmes, en sautant à terre, que ce qu’on prenait pour les volontaires du roi, c’étaient des bouquets de cactus, des figuiers de Barbarie, dressés en rang sur le rivage. Je m’avance. Personne. Mais un piétinement, des ravines dans le sable. Je dis au marquis : « C’est louche… Rembarquons. » Malheureusement les Parisiens arrivaient. Et retenir ceux-là !… Les voilà s’éparpillant sur la côte, fouillant les buissons, les taillis… Tout à coup une bande de feu, un crépitement de fusillade. On crie : « Trahison !… trahison !… Au large ! » On se précipite vers les barques. Une vraie bousculade de troupeau, serré, affolé, barbotant… Il y a eu là un moment de vilaine panique éclairée par la lune qui se levait et nous montrait nos marins anglais se