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sent en sites superbes et sauvages. C’était le première fois qu’ils sortaient ensemble, et Christian savourait cette joie brève au terrible lendemain de bataille et de mort.

Ils roulaient sous d’immenses arceaux de verdure où tombaient les feuillages des hêtres en étalements légers, immobiles, traversés d’un soleil lointain, ayant peine à percer ces verdures en étages, d’un développement antédiluvien. Sous cet abri, sans autre horizon qu’un profil de femme aimée, sans autre espoir, sans autre souvenir ni désir que ses caresses, la nature poétique du Slave s’épanchait. Oh ! vivre là tous deux, rien qu’eux deux, dans une petite maison de garde, de mousse et de chaume au dehors, capitonnée en nid luxueux à l’intérieur ! Il voulait savoir depuis quand elle l’aimait, quelle impression il lui avait causée la première fois. Il lui traduisait des vers de son pays rythmés de baisers légers, dans le cou, sur les yeux ; et elle l’écoutait, feignant de comprendre, de répondre, les paupières battantes, ensommeillées par sa mauvaise nuit.

Éternel désaccord des duos d’amour ! Christian désirait s’enfoncer aux endroits solitaires, inexplorés ; Séphora recherchait les coins fameux, les curiosités étiquetées de la forêt où se trouvent des guinguettes, des boutiques d’objets en bois de genévrier, des montreurs de pierres qui tremblent, de roches qui pleurent, d’arbres