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de-Poule s’endormait et se réveillait par tressauts. Rigolo parlait peu, riait ou faisait semblant, tirait sa montre toutes les cinq minutes. Peut-être pensait-il à la reine, que ce retard devait terrifier.

Au dessert, quelques femmes arrivèrent, — des dîneuses du café de Londres, — qui, sachant les princes en bas, quittaient leurs tables, et, guidées par les garçons portant des candélabres, se faufilaient dans les caves, leur jupe sur le bras, avec des petits cris, des effarements d’équipée. Presque toutes étaient décolletées. Au bout de cinq minutes, elles toussaient, devenaient pâles, frissonnaient sur les genoux de ces messieurs, eux du moins abrités de leurs collets relevés. « Une bonne farce à les faire toutes claquer de la poitrine !… » comme dit l’une d’elles, plus frileuse ou moins enragée que les autres. On se décida à monter prendre le café dans les salons, et pendant le déplacement Christian disparut. Il était à peine neuf heures. Son coupé l’attendait à la porte.

— Avenue de Messine…, dit-il tout bas, les dents serrées.

Cela venait de le prendre comme une folie. Pendant tout le dîner, il n’avait vu qu’elle, elle, respirant sa possession sur ces chairs nues qui le frôlaient. Oh ! saisir cette femme à pleins bras, n’être plus dupe de ses larmes, de ses prières…