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LES ROIS EN EXIL

encore à cheval, ou que, pareil à son cousin le duc de Palma, il saurait toujours revenir sauf de la bataille ? Il ne s’expliqua pas davantage…

Autour d’eux, le bal continuait à virer en tourbillons fous, mais Élisée le voyait maintenant à travers le découragement de son vieux maître et ses propres désillusions. Il sentait une immense pitié pour toute cette jeunesse vaillante qui, si gaiement, s’apprêtait à aller combattre sous des chefs désabusés ; et déjà la fête, son train confus, ses lumières voilées, disparaissaient pour lui dans la poudre d’un champ de bataille, la grande mêlée de désastre où l’on ramasse les morts inconnus. Un moment, pour échapper à cette vision sinistre, il se pencha sur l’appui de la fenêtre, vers le quai désert où le palais jetait de grands carrés lumineux prolongés jusque dans la Seine. Et l’eau qu’il écoutait, tumultueuse et tourmentée à cette pointe de l’île, mêlant le bruit de ses courants, de ses furieux remous contre l’arche des ponts, aux soupirs des violons, aux plaintes déchirantes des guzlas, tantôt bondissait à petits coups comme les sanglots d’un cœur oppressé, ou bien se répandait à grands flots épuisants comme le sang d’une blessure large ouverte…