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indispensables. Sans quoi la vie s’userait en querelles, en contestations.

Les plus vieux employés de Tom, des gens qui le servaient depuis des cinq et six mois, n’étaient jamais descendus dans ce mystérieux sous-sol où Séphora avait seule le droit de pénétrer. C’était le coin intime de l’agent, son dedans, sa conscience, le cocon d’où il sortait chaque fois transformé, quelque chose comme une loge de comédien, à laquelle du reste le boudoir ressemblait fort en ce moment, avec ses becs de gaz éclairant le marbre, les tentures falbalassées de la toilette et la mimique singulière à laquelle se livrait J. Tom Lévis, agent des étrangers. D’un tour de main il ouvrit sa longue redingote anglaise, l’envoya loin, puis un gilet, puis un autre, les gilets multicolores de l’homme du cirque, désentortilla les dix mètres de mousseline blanche qui formaient sa cravate, les bandes de flanelle superposées autour de sa taille, et de cette majestueuse et apoplectique rotondité qui courait Paris dans le premier, le seul cab connu à cette époque, sortit tout à coup, avec un « ouf ! » de satisfaction, un petit homme sec et nerveux, pas plus gros qu’une bobine dévidée, un affreux voyou de Paris quinquagénaire, qu’on eût dit sauvé du feu, tiré d’un four à plâtre, avec les rides, les cicatrices, les tonsures dévastatrices de l’échaudement, et, malgré tout, un air jeunet,