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LES ROIS EN EXIL

nant je me rappelle… Ainsi c’était vous. Oh ! que je suis contente… C’est vous qui le premier nous avez souhaité la bienvenue… Si vous saviez comme votre cri m’a fait du bien…

— Et à moi donc ! reprit Méraut… Si longtemps que je n’avais eu l’occasion de le pousser, ce cri triomphant de : Vive le roi !… Si longtemps qu’il me chantait au bord des lèvres… C’est un cri de famille, associé à toutes mes joies d’enfance, de jeunesse, où nous résumions à la maison nos émotions et nos croyances. Ce cri-là me redonne — en passant — l’accent méridional, le geste et la voix de mon père ; il me fait monter dans les yeux le même attendrissement que je lui ai vu tant de fois… Pauvre homme ! c’était instinctif chez lui, une profession de foi dans un mot… Un jour, traversant Paris au retour d’un voyage à Frohsdorff, le père Méraut passait sur la place du Carrousel comme Louis-Philippe allait sortir. Du peuple attendait, collé aux grilles, indifférent et même hostile, un peuple de fin de règne. Mon père, en apprenant que le roi va passer, bouscule, écarte tout le monde, et se met au premier rang pour voir de près, toiser, accabler de son mépris ce brigand, ce gueux de Louis-Philippe qui avait volé la place de la légitimité… Tout à coup le roi paraît, traverse la cour déserte, au milieu d’un silence de