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L’ÉMANCIPATION DE LA FEMME

voir et un plaisir d’offrir aux faibles une compensation des désavantages de la nature et de la fortune. En vérité, il y a là une leçon pour les femmes qui sont heureuses dans la vie, dont l’influence est puissante dans leurs propres maisons ou dans la société. La protection, les encouragements bienveillants et généreux que nos pères et nos frères nous donnent, nous sommes tenues de les rendre aux femmes pauvres, faibles et sans appui. Il nous suffit de savoir que le suffrage est une puissance (toute histoire et toute politique le démontrent), pour avoir l’obligation de le désirer et de nous en servir par amour des faibles, soit que nous désirions par ce moyen conquérir quelque chose ou non pour nous-mêmes. Un pouvoir légitime est un dépôt sacré aux yeux d’un homme ou d’une femme honnête ; dire : « Je n’en ai pas besoin, » c’est agir comme le serviteur de la parabole enfouissant le talent que son indolence l’empêchait de mettre à profit. Il peut être très-vrai qu’une femme respectée et aimée par tout son entourage a un pouvoir qui surpasse beaucoup celui du vote.

Mais la même chose est vraie des hommes de bien dans une position élevée ; voudrions-nous donc, pour ce motif, les priver du droit électoral ? Il est vrai pour les femmes, comme pour les hommes, que la politique réclame le suffrage de la masse du peuple, plutôt que celui d’un génie exceptionnel, qui peut toujours faire sentir son influence. La société a besoin que cette foule, au moyen du suffrage, puisse lui faire connaître ses souffrances et ses besoins, dont des femmes influentes ont le devoir de s’occuper avec ardeur.

Une dernière considération. Qui peut avoir notre sympathie pour les souffrances et pour la dégradation des femmes ? Les plus nobles et les plus généreux d’entre les hommes ne peuvent ressentir ce que ressent une femme devant la misère d’une femme maltraitée, les horreurs de sa dépravation la plus profonde, les angoisses d’une mère privée de ses enfants, le délaissement d’une pauvre fille isolée dans l’état social où nous vivons. Notre sympathie pour ces misères doit être plus grande que celle des