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L’ÉMANCIPATION DE LA FEMME

l’abandon et l’exploitation de la fille du peuple dans la société ne lui laissent souvent que le cloître pour refuge, soit qu’elle ne trouve pas le pain quotidien en échange du travail, soit qu’elle craigne les naufrages de ses sœurs ou ait horreur de leur dégradation. Je n’ai pas besoin de rappeler à ce sujet le chiffre formidable de femmes et d’enfants que nos villes et nos campagnes offrent chaque année en holocauste au minotaure de la débauche. On comprendra peut-être mieux toute l’étendue de cette misère si l’on apprend que la France saturée d’orgies peut encore livrer à l’exportation des instruments du vice et même alimenter les harems orientaux[1].

Cette corruption de l’homme honnête, qui pousse une jeunesse sans devoir et sans frein vers les femmes malhonnêtes, produit nécessairement un grand antagonisme dans l’éducation et, par suite, dans la société et le mariage. De là le dégoût invincible que prennent pour le monde une foule de femmes du peuple qui ont de la valeur morale et intellectuelle. Ayant horreur de ces hommes aux instincts de brute, de ces sacs à vin qui se rient des devoirs les plus sacrés de la famille, de ces électeurs souverains qui cherchent dans le mariage, comme hors du mariage, la triple satisfaction de leur cupidité, de leur despotisme et de leur concupiscence, ces femmes, ainsi que dans les jours de décadence de l’empire romain, fuient une société d’où la licence a banni les devoirs nécessaires qui font l’honneur de l’homme et la dignité de la mère de ses enfants. Il résulte de là que, dans les classes ouvrières, les femmes qui, comme l’homme, finissent par se marier sont souvent celles qui, pour avoir partagé sa vie licencieuse, sont le moins propres aux devoirs du foyer ; aucune société qui lâche la bride au sensualisme ne peut échapper à ces conséquences extrêmes. Elles

  1. « Un Français voyageait, il y a un an ou deux, sur le chemin de fer de Lyon à la Méditerranée, en compagnie d’un Levantin. À une station cet homme le quitte un instant et lui dit : J’ai là une douzaine de femmes que je mène sur le Bosphore. » Des hommes au service des pachas conduisent ces odalisques dans les harems ; on les fait musulmanes et personne ne sait plus ce qu’elles deviennent (Souvenirs de Roumélie, Revue des Deux mondes, 15 juillet 1871).