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L’ÉMANCIPATION DE LA FEMME

acquis ces connaissances et appris ainsi à apprécier les bienfaits d’une législation équitable, et le privilége du suffrage en faveur de la meilleure législation, ces adversaires nous disent avec un raffinement de cruauté : « Restez satisfaites des connaissances et du talent que vous avez acquis ; discutez la politique à vos foyers, mais ne songez pas à en faire la moindre application pratique. » Je ne dis point que le cas soit le même, mais des artistes seraient blessés, je pense, et se révolteraient peut-être, si, après avoir vaincu toutes les difficultés de leur art et acquis une grande habileté, on leur disait : « Soyez contents des connaissances que vous avez acquises et parlez d’art chez vous, mais ne songez jamais à vous en servir. »

Plusieurs de nos amis conservateurs ont montré une grande appréhension au sujet de l’extension récente du suffrage, dans la crainte que les classes ouvrières ne nous soient hostiles. Pour montrer combien ces alarmes sont peu fondées, je rappelle qu’outre les nombreuses pétitions faites par les bourgs métropolitains et les villes, nous avons à en présenter qui sont signées par 17,000 personnes, dont moitié appartiennent aux classes ouvrières.

On argumente souvent aussi contre nous de notre inaptitude au suffrage. Les femmes, paraît-il, sont faites pour payer les impôts, pour acquitter toutes les charges qui frappent les propriétaires, mais elles ne sont pas faites pour le moindre privilège.

Nos antagonistes prétendent que nos franchises nous détourneraient de nos devoirs domestiques ; pour répondre à cette assertion, je cite quelques mots d’une lettre écrite à l’éditeur du Spectateur : « Je lutterai, dit le correspondant, aussi sérieusement que personne pour les devoirs domestiques d’une femme mais je demande si vous ne la paralysez pas dans l’accomplissement de ces devoirs, si vous n’avilissez pas le sentiment de leur grandeur, quand vous lui enseignez à ne pas se regarder comme une citoyenne. La sainteté du foyer domestique est la sauvegarde de la nation si vous décrétez la séparation du foyer et de la nation ; si vous affirmez qu’une moitié de cette nation doit être séquestrée chez elle et