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564 Récapitulation et conclusions.  

Le défaut d’usage, aidé quelquefois par la sélection naturelle, a dû souvent contribuer à réduire des organes devenus inutiles à la suite de changements dans les conditions d’existence ou dans les habitudes ; d’après cela, il est aisé de comprendre la signification des organes rudimentaires. Mais le défaut d’usage et la sélection n’agissent ordinairement sur l’individu que lorsqu’il est adulte et appelé à prendre une part directe et complète à la lutte pour l’existence, et n’ont, au contraire, que peu d’action sur un organe dans les premiers temps de la vie ; en conséquence, un organe inutile ne paraîtra que peu réduit et à peine rudimentaire pendant le premier âge. Le veau a, par exemple, hérité d’un ancêtre primitif ayant des dents bien développées, des dents qui ne percent jamais la gencive de la mâchoire supérieure. Or, nous pouvons admettre que les dents ont disparu chez l’animal adulte par suite du défaut d’usage, la sélection naturelle ayant admirablement adapté la langue, le palais et les lèvres à brouter sans leur aide, tandis que, chez le jeune veau, les dents n’ont pas été affectées, et, en vertu du principe de l’hérédité à l’âge correspondant, se sont transmises depuis une époque éloignée jusqu’à nos jours. Au point de vue de la création indépendante de chaque être organisé et de chaque organe spécial, comment expliquer l’existence de tous ces organes portant l’empreinte la plus évidente de la plus complète inutilité, tels, par exemple, les dents chez le veau à l’état embryonnaire, ou les ailes plissées que recouvrent, chez un grand nombre de coléoptères, des élytres soudées ? On peut dire que la nature s’est efforcée de nous révéler, par les organes rudimentaires, ainsi que par les conformations embryologiques et homologues, son plan de modifications, que nous nous refusons obstinément à comprendre.

Je viens de récapituler les faits et les considérations qui m’ont profondément convaincu que, pendant une longue suite de générations, les espèces se sont modifiées.

Ces modifications ont été effectuées principalement par la sélection naturelle de nombreuses variations légères et avantageuses ; puis les effets héréditaires de l’usage et du défaut d’usage des parties ont apporté un puissant concours à cette sélection ; enfin,