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  Morphologie. 513

il est évident que les pieds postérieurs de ces divers animaux servent aux usages les plus différents que l’on puisse imaginer. Le cas est d’autant plus frappant que les opossums américains, qui ont presque les mêmes habitudes d’existence que certains de leurs parents australiens, ont les pieds construits sur le plan ordinaire. Le professeur Flower, à qui j’ai emprunté ces renseignements, conclut ainsi : « On peut appliquer aux faits de ce genre l’expression de conformité au type, sans approcher beaucoup de l’explication du phénomène ; » puis il ajoute : « Mais ces faits n’éveillent-ils pas puissamment l’idée d’une véritable parenté et de la descendance d’un ancêtre commun ? »

Geoffroy Saint-Hilaire a beaucoup insisté sur la haute importance de la position relative ou de la connexité des parties homologues, qui peuvent différer presque à l’infini sous le rapport de la forme et de la grosseur, mais qui restent cependant unies les unes aux autres suivant un ordre invariable. Jamais, par exemple, on n’a observé une transposition des os du bras et de l’avant-bras, ou de la cuisse et de la jambe. On peut donc donner les mêmes noms aux os homologues chez les animaux les plus différents. La même loi se retrouve dans la construction de la bouche des insectes ; quoi de plus différent que la longue trompe roulée en spirale du papillon sphinx, que celle si singulièrement repliée de l’abeille ou de la punaise, et que les grandes mâchoires d’un coléoptère ? Tous ces organes, cependant, servant à des usages si divers, sont formés par des modifications infiniment nombreuses d’une lèvre supérieure, de mandibules et de deux paires de mâchoires. La même loi règle la construction de la bouche et des membres des crustacés. Il en est de même des fleurs des végétaux.

Il n’est pas de tentative plus vaine que de vouloir expliquer cette similitude du type chez les membres d’une classe par l’utilité ou par la doctrine des causes finales. Owen a expressément admis l’impossibilité d’y parvenir dans son intéressant ouvrage sur la Nature des membres. Dans l’hypothèse de la création indépendante de chaque être, nous ne pouvons que constater ce fait en ajoutant qu’il a plu au Créateur de construire tous les animaux et toutes les plantes de chaque grande classe sur un plan uniforme ; mais ce n’est pas là une explication scientifique.