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504 Affinités mutuelles des êtres organisés.  

semblance extérieure ne résulte pas d’une adaptation à des conditions d’existence semblables, mais provient d’un besoin de protection. Je fais allusion aux faits observés pour la première fois par M. Bates, relativement à certains papillons qui copient de la manière la plus étonnante d’autres espèces complètement distinctes. Cet excellent observateur a démontré que, dans certaines régions de l’Amérique du Sud, où, par exemple, pullulent les essaims brillants d’Ithomia, un autre papillon, le Leptalis, se faufile souvent parmi les ithomia, auxquels il ressemble si étrangement par la forme, la nuance et les taches de ses ailes, que M. Bates, quoique exercé par onze ans de recherches, et toujours sur ses gardes, était cependant trompé sans cesse. Lorsqu’on examine le modèle et la copie et qu’on les compare l’un à l’autre, on trouve que leur conformation essentielle diffère entièrement, et qu’ils appartiennent non seulement à des genres différents, mais souvent à des familles distinctes. Une pareille ressemblance aurait pu être considérée comme une bizarre coïncidence, si elle ne s’était rencontrée qu’une ou deux fois. Mais, dans les régions où les Leptalis copient les Ithomia, on trouve d’autres espèces appartenant aux mêmes genres, s’imitant les unes des autres avec le même degré de ressemblance. On a énuméré jusqu’à dix genres contenant des espèces qui copient d’autres papillons. Les espèces copiées et les espèces copistes habitent toujours les mêmes localités, et on ne trouve jamais les copistes sur des points éloignés de ceux qu’occupent les espèces qu’ils imitent. Les copistes ne comptent habituellement que peu d’individus, les espèces copiées fourmillent presque toujours par essaims. Dans les régions où une espèce de Leptalis copie une Ithomia, il y a quelquefois d’autres lépidoptères qui copient aussi la même ithomia ; de sorte que, dans un même lieu, on peut rencontrer des espèces appartenant à trois genres de papillons, et même une phalène, qui toutes ressemblent à un papillon appartenant à un quatrième genre. Il faut noter spécialement, comme le démontrent les séries graduées qu’on peut établir entre plusieurs formes de leptalis copistes et les formes copiées, qu’il en est un grand nombre qui ne sont que de simples variétés de la même espèce, tandis que d’autres appartiennent, sans aucun doute, à des espèces dis-