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286 Instinct.  

trouvé dans l’Illinois, dans le nid d’un geai bleu (Garrulus cristatus), un jeune coucou et un jeune geai ; tous deux avaient déjà assez de plumes pour qu’on pût les reconnaître facilement et sans crainte de se tromper. Je pourrais citer aussi plusieurs cas d’oiseaux d’espèces très diverses qui déposent quelquefois leurs œufs dans les nids d’autres oiseaux. Or, supposons que l’ancêtre du coucou d’Europe ait eu les habitudes de l’espèce américaine, et qu’il ait parfois pondu un œuf dans un nid étranger. Si cette habitude a pu, soit en lui permettant d’émigrer plus tôt, soit pour toute autre cause, être avantageuse à l’oiseau adulte, ou que l’instinct trompé d’une autre espèce ait assuré au jeune coucou de meilleurs soins et une plus grande vigueur que s’il eût été élevé par sa propre mère, obligée de s’occuper à la fois de ses œufs et de petits ayant tous un âge différent, il en sera résulté un avantage tant pour l’oiseau adulte que pour le jeune. L’analogie nous conduit à croire que les petits ainsi élevés ont pu hériter de l’habitude accidentelle et anormale de leur mère, pondre à leur tour leurs œufs dans d’autres nids, et réussir ainsi à mieux élever leur progéniture. Je crois que cette habitude longtemps continuée a fini par amener l’instinct bizarre du coucou. Adolphe Müller a récemment constaté que le coucou dépose parfois ses œufs sur le sol nu, les couve, et nourrit ses petits ; ce fait étrange et rare paraît évidemment être un cas de retour à l’instinct primitif de nidification, depuis longtemps perdu.

On a objecté que je n’avais pas observé chez le coucou d’autres instincts corrélatifs et d’autres adaptations de structure que l’on regarde comme étant en coordination nécessaire. N’ayant jusqu’à présent aucun fait pour nous guider, toute spéculation sur un instinct connu seulement chez une seule espèce eût été inutile. Les instincts du coucou européen et du coucou américain non parasite étaient, jusque tout récemment, les seuls connus ; mais actuellement nous avons, grâce aux observations de M. Ramsay, quelques détails sur trois espèces australiennes, qui pondent aussi dans les nids d’autres oiseaux. Trois points principaux sont à considérer dans l’instinct du coucou : — premièrement, que, à de rares exceptions près, le coucou ne dépose qu’un seul œuf dans un nid, de manière à ce que le jeune, gros et vorace, qui doit en sortir, reçoive une nourriture abondante ; —